En ces temps hivernaux, la célébration du carnaval dans plusieurs villes italiennes ne peut échapper à l’attention du futur voyageur de la péninsule. Or, des événements surprenants et spectaculaires s’y déroulent.
De Alessandra Ivaldi / 9.03.2020
Concentrons-nous sur l’un de ces carnavals des plus étonnants. Pour un touriste étranger, ce n’est peut-être pas le plus célèbre, mais c’est le plus ancien d’Italie; il s’agit ici du carnaval historique d’Ivrée.
Expliquer toutes les facettes de cette manifestation est loin d’être facile.Pour les habitants de la ville, c’est un évènement important aux origines extrêmement anciennes. De nos jours, il consiste en un long et complexe rituel incluant différents évènements. La parade des personnages¨en costumes historiques et la légendaire bataille des oranges sont les deux moments les plus cruciaux de la fête.
Commençons par la parade. Les habitants d’Ivrée et les visiteurs peuvent admirer une procession haute en couleurs paradant à travers la ville, menée par les fifres et tambours. Des personnages y représentent les épisodes les plus notoires de l’histoire d’Ivrée.
Les origines de la fête remonte au XVIe siècle, quand les différents quartiers de la ville organisaient, afin de rivaliser entre eux, leur propre manifestation carnavalesque. Ainsi, il n’y avait pas un seul, mais plusieurs “carnivals”. A cette époque, les protagonistes de l’événement étaient les Abbà, un groupe de jeunes et joyeux lurons chargés de représenter les différents quartiers d’ Ivrée. Aujourd’hui, selon le rituel de cette fête, chacun des cinq quartiers doit présenter deux Abbà – qui sont en fait des enfants vêtus de costumes médiévaux et d’une petite épée leur tenant lieu d’arme.
Pour des raisons d’ordre public, les autorités napoléoniennes qui gouvernaient Ivrée au début du XVIIIe siècle imposèrent l’unification de ces différents “carnavals”. Depuis lors, un autre personnage fondamental de cette célébration s’est imposé : le Général, symbole de l’autorité municipale et vêtu de l’uniforme de l’armée napoléonienne, pendant la parade historique.
Dans la seconde partie du XIXe siècle, avec la diffusion des idéaux du Risorgimento, une nouvelle personnalité est apparue dans le rituel du carnaval d’ Ivrée. Aujourd’hui, elle est la protagoniste de l’entière manifestation : la “vezzosa Mugnaia” (la charmante fille du meunier). Elle est inspirée de la légende de Violetta. Elle était la fille du meunier de la ville, mariée à Toniotto, mais a été kidnappée par les sbires du méchant tyran qui régnait sur Ivrée. Il emprisonna Violetta en son château, dénommé “Castellazzo”. Cependant, la rusée Violetta parvint à enivrer le tyran et à le tuer dans son sommeil, annonçant le soulèvement de la population contre la noblesse locale toute puissante et la destruction de Castellazzo. Il n’est pas facile de savoir quelle réalité se cache vraiment derrière la légende mais les habitants d’Ivrée l’apprécient néanmoins énormément.
De nos jours, le personnage de la charmante meunière Violetta est incarné par différentes jeunes femmes chaque année qui doivent répondre aux critères suivants : être une citoyenne d’Ivrée et être mariée. En outre, pendant la parade, elle doit être vêtue de blanc, symbole de pureté et de fidélité à son mari. Sa robe est décorée de symboles verts et rouges rappelant le drapeau italien.
Vous connaissez maintenant les principaux personnages de la parade historique qui se déroule quotidiennement pendant les célébrations du carnaval auquel participent des formations musicales d’autres régions du pays et ainsi que de l’étranger. Cependant, la bataille des oranges qui attire des centaines de visiteurs chaque année en constitue le moment le plus spectaculaire. (le seul risque étant d’être éventuellement touché par quelques oranges !) Mais qu’en est-il exactement?
La bataille se déroule dimanche et lundi et pendant le mardi gras du carnaval, sur les principales places de la ville. Les troupes du tyran, représentées par les bandes d’aranceri (signifiant les lanceurs d’orange) se déplacent sur des chariots tirés par des chevaux, suivies par les révoltés, les aranceri à pied. Les premiers sont protégés par des costumes aux matelassages de couleurs vives et des masques en cuir inquiétants munis de grillages recouvrant leur visage. Ils peuvent lancer des oranges à deux mains afin de renforcer “la force de frappe”.
Les bandes à pied – composées de aranceri, hommes et femmes – se précipitent sur les chariots. Ils sont vêtus de costumes colorés, des clochettes aux chevilles et des tuniques attachées à la taille afin de contenir une abondante réserve d’oranges. Cependant, ils n’ont aucune protection. Chaque bande porte son propre nom, son symbole et sa couleur. La rivalité ainsi représentée ne s’exerce pas seulement entre le peuple et la troupe du tyran, mais aussi entre les différentes bandes d’aranceri à pied. Un jury spécial a la tâche spécifique d’apprécier la qualité de la bataille et, à la fin de troisième journée il décerne un prix à l’équipe ayant montré la meilleure stratégie de siège et animée de la plus ardente passion et loyauté.
Pendant le carnaval, comme tribut aux idéaux de liberté apports au Piémont par la Révolution française, les résidents et les visiteurs doivent porter un bonnet phrygien, un des symboles de la Révolution. Ceux qui ne se plient pas à cette règle prennent le risque d’être visés par un aranceri!
Depuis ses débuts, la bataille des oranges d’Ivrée a soulevé le débat du supposé gaspillage d’oranges ainsi que le “bollettino dei feriti” (le nombre de blessés déclarés) par lesquels cette folle célébration se termine. Cependant, il est important de relever que les oranges utilisées lors des batailles, puis recouvrant les rue de la ville à la fin de chaque combat, sont des surplus qui seraient de toute façon jetées.
Voilà qui n’est qu’un aperçu du rituel complexe du carnaval d’Ivrée. Si vous souhaitez en savoir davantage sur cette fête inhabituelle, mettez de côté toute peur et déambulez dans les rues d’Ivrée… mais n’oubliez pas votre couvre-chef phrygien!
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