Aujourd’hui, nous partageons ce texte, écrit par un de nos collaborateurs, et disponible également sur le blog Centoidee , pour découvrir comment est vécue l’actuelle situation socio-politique d’un jeune européen, entre peurs et inquiétudes mais également avec une lueur…
De Filippo Zimmaro / 12.07.2022
Parfois les phénomènes choisissent (ou plutôt nous choisissons) des images emblématiques mais non-essentielles pour être mémorisées. En tant qu’Italien, je me souviens surtout de la course de Grosso après le but contre l’Allemagne, plutôt que de son dernier penalty grâce auquel nous avons effectivement gagné. De même, dans l’imaginaire collectif, l’incertitude et le vacillement de l’Europe sont plus efficacement enfermés dans le regard embarrassé et abasourdi de Charles Michel, tandis qu’Ursula Von Der Leyen est accueillie par l’entourage d’Erdogan sur un maigre canapé, loin des chaises pompeuses réservées aux deux hommes, que les répliques imprévues et incohérentes jalonnant le débat sur les vaccins, par exemple. Ces derniers auraient théoriquement dû en dire beaucoup plus à propos de la crise que l’Europe traverse actuellement.
Parce que de la crise, il faut parler. Économique, mais surtout identitaire, culturelle et politique. La classe dirigeante européenne non seulement ne parvient pas à s’unir, mais elle n’est pas en mesure non plus de se définir individuellement. Il suffit de penser à l’immigration : certains l’ignorent complètement, en l’excluant nettement de l’agenda politique et en évitant d’en parler autrement que sur des tons imprégnés de respectabilité des plus réduites, comme si ce n’était pas l’un des problèmes cruciaux du siècle. D’autres, en revanche, instrumentalisent la question de la manière la plus grossière. Paradoxalement, le sujet se révèle avantageux même pour ceux qui le passent sous silence, dans cette dichotomie forcée qui nous pousse à choisir l’un des deux partis extrêmes. Personne, personne, personne n’offre une vision définie, lucide, voire idéologique si nécessaire, mais cohérente. Toutes les forces politiques oscillent à la merci du courant, dépourvues de toute vision stratégique, mais prêtes à poursuivre la sensation, la mode, les polarisations soudaines et peu distinguables des masses.

On répète que le politicien devrait être un amiral commandant son navire : la mer doit être maîtrisée, l’équipage aussi mais, avec quelques minimes corrections imperceptibles du cap à suivre, il devrait amener le bateau à destination. Celle qu’il a choisie. La politique d’aujourd’hui n’en pas, elle corrige peu sa trajectoire, elle renouvelle ironiquement le débat avec des slogans du type « il n’y a plus ni de droite, ni de gauche », elle observe avec détachement les mouvements sociaux et esquive autant que possible les débats environnementaux et éthiques. En fait, ces dernières années, un décalage toujours plus marqué entre grands partis politiques et mouvements sociaux s’est creusé : ces derniers tendent à être de plus en plus présents et à polariser nettement les individus, sur des plans multiples toujours plus nombreux. Cette division complexe est difficilement applicable dans le paysage politique : un grand parti politique préfère la technique de l’abstention ou de la fausse participation superficielle, en évitant de prendre une véritable position sur tout sujet potentiellement clivant. D’autre part, la politique s’en remet à une nouvelle communication médiatisée par les réseaux sociaux, dont elle ne comprend, ni ne règle le fonctionnement, mais qu’elle croit devoir utiliser.
Un continent où la culture est foisonnante en est paradoxalement victime, n’ayant jamais réussi à s’harmoniser dans une identité et une vision communes. Il est complètement soumis à un monde qui n’a plus innové depuis longtemps, qui change rapidement, qui devient hypercomplexe et qui échappe totalement à son intelligence encore statique et dépassée. Elle l’oblige à tenter des saltos inutiles, tandis que les autres filent à 1600 km/h, comme le train d’Osaka à Tokyo. Nous, en tant qu’Européens, nous nous adaptons aux différents mythes qui nous sont proposés depuis des décennies principalement par des pays d’outre-mer, nous nous détournons face aux inégalités croissantes sur lesquelles nous avons débattu pendant un siècle, nous mettons de côté des problèmes embarrassants alors que nous nous répétons, comme une comptine, ce qu’ont été nos valeurs, notre culture, nos conquêtes, pour souhaiter ensuite l’achat de notre équipe par un fond qatari. Nous ne parvenons pas à nous affranchir des Américains, dont nous partageons les modèles, à nous émanciper des capitaux arabes et chinois, à construire un front commun en Afrique.
Parfois, je pense que ce changement est tout à fait naturel : ce sera seulement et simplement parce que nous sommes un vieux continent, conservateur, flasque. Alors laissons la place aux jeunes startups en Turquie, à l’esprit d’entreprise et impérialiste chinois, à la folle poursuite du succès américain, au dynamisme et à la jeunesse africains. Malgré leur retard par rapport à notre ligne de développement social, il est juste que ce soit leur tour de dicter les règles.
D’autres fois, je souhaite une révolution qui se propagerait de l’Europe et qui s’inspirerait des valeurs européennes. Une révolution qui ramènerait l’homme au centre, après que la révolution capitaliste-numérique de la Silicon Valley a apporté innovation et bien-être, mais en augmentant les inégalités, l’anonymat et la précarité. Autrefois, on parlait de Nouvel Humanisme. Je ne sais pas si c’est ce qu’on voulait dire, mais le nom ne sonne pas mal du tout.
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